Suffit-il d’être différent des autres pour être soi-même ?

Introduction

Être soi-même, c’est ne pas se réduire à n’être que l’élément typé d’une catégorie. Il faut, pour cela, être différent. Mais être différent ne suffit pas. Être soi-même, c’est aussi être un homme semblable à tous les autres hommes.

 

 

Première partie

Être soi-même, c’est se différencier des autres.

 

Pour être soi-même, il faut être un sujet indépendant et irréductible. Le «moi» ne peut s’affirmer qu’en se différenciant des autres. C’est cette différenciation qui permet d’accéder à la conscience de soi.

 

Être soi-même, c’est être conscient de soi.

L’avénement de la conscience de soi et la reconnaissance de l’autre comme différent, sont deux aspects d’un même processus spirituel. Dans le contexte social - et celui-ci est constitutif de l’existence humaine - le «moi» ne peut s’affirmer qu’en affirmant sa différence par rapport aux «autres».

 

Être soi-même, c’est être une personne.

La conscience d’être une personne vient essentiellement du sentiment d’être différent des autres. D’ailleurs, selon Emile Durkheim, c’est au terme d’une évolution sociale qui instaure la division du travail et individualise le rôle de chacun dans la production, que tout homme devient en mesure de se sentir une personne.

 

Être soi-même, c’est être unique.

Au sens strict, la personne, c’est le sujet singulier, unique. C’est ce que montre Marcel Mauss, dans ses analyses sur les Esquimaux, en insistant sur l'importance du nom dans le sentiment d’être soi-même. Tous les esquimaux qui portent le même nom se considèrent, paraît-il, comme à peu près interchangeables. Ce qui singularise l’individu dans le groupe, c’est la différenciation des fonctions.

 

«Ce qui importe, ce n’est pas de savoir à qui et à quoi ressemble quelqu’un, c’est de découvrir (...) en quoi il ne ressemble à personne.» (Raymond Carpentier - La connaissance d’autrui ).

 

Être soi-même, c’est ne pas pouvoir être remplacé par un autre, c’est être unique et non interchangeable. Ainsi, pour être soi-même suffit-il d’être une individualité originale différente des autres.

 

 

Deuxième partie

Être conscient de soi, c’est être conscient de soi comme homme.

 

Pour être moi-même, il faut que je sois différent des autres mais il faut aussi que je leur ressemble. Chacun est une individualité originale mais pour être une personne il faut être semblable aux autres.

 

Être soi-même, c’est être conscient de soi

Or être conscient de soi c’est, bien évidemment, être conscient de soi comme homme. Pour être conscient de soi comme homme, il faut avoir été reconnu comme tel par un autre homme. Donc, pour être soi-même, il faut d’abord être comme l’autre, et ce n’est qu’ensuite que l’on peut s’en différencier.

 

Je ne suis qu’un élément dans un ensemble

Lorsque je m’interroge sur mon être propre, je m’aperçois que je me réduis facilement à n’être que l’élément d’une catégorie. L’orgueil de famille, de caste ou de patrie n’est rien d’autre que l’affirmation qu’être soi-même c’est d’abord appartenir à un groupe et se définir comme ayant, avec les autres et comme eux, les qualités dont le groupe se targue. Pour être soi-même il faut alors être comme les autres.

 

Être soi-même c’est se sentir exister

L’expérience prouve que la plupart des personnes ne se sentent exister que lorsqu’elles sont reconnues par les autres. Et , pour être reconnu, il faut être comme tout le monde. Les sociétés d’enfants (école et terrain de jeu) le manifestent avec évidence. Elles sont impitoyables pour celui qui n’est pas habillé, bâti comme tout le monde.

 

«La conscience de soi ne peut être conçue que par rapport au semblable reconnu comme tel.» (Emile Chartier dit Alain - Hegel )

 

Si autrui est l’autre que moi, il est aussi en même temps mon semblable. Je ne peux être moi-même, c’est à dire me considérer comme un homme, que si, par delà les différences, je me sens identique aux autres.

 

Conclusion

Concevoir son propre accomplissement personnel sur le mode d’une affirmation individualiste c’est méconnaître la nécessaire solidarité des personnes humaines. La personne est une valeur en tant qu’elle se manifeste comme étant la même en moi et en l’autre. C’est pour cela, d’ailleurs, qu’elle doit être défendue. En fait, la distinction entre moi et l’autre n’est pas obligatoire et, pour le moins tardive, tant dans la vie de l’individu que dans l’histoire des cultures. Comme le fait remarquer Max Scheller dans Nature et formes de la sympathie : «L’homme vit tout d’abord et principalement dans les autres, non en lui-même; il vit plus dans la communauté que dans son propre individu». Autrui est, à la fois, le même et l’autre. Il y a donc deux façons de méconnaître l’homme: nier que l’autre soit différent ou nier qu’il soit semblable.

 

«Nous découvrons en nous-mêmes ce que les autres nous cachent et nous reconnaissons dans les autres ce que nous cachons nous-mêmes.» (Luc de Clapiers, marquis de Vauvenargues - Réflexions et maximes )

 

«Se trouve autant de différence de nous à nous-mêmes que de nous à autrui.» (Michel Eyquem de Montaigne - Essais )

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